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Les fonctions des statues chez les baoulé

Toutes ces effigies, qu'elles soient humaines ou animales, condensent des forces spirituelles, elles donnent aux esprits l'habitacle d'une forme matérielle ; elles sont les points de concentration d'un pouvoir surnaturel et apparaissent toujours comme le support d'un rite : chez les Atié aussi bien que dans les ethnies du Centre, elles servent d'intermédiaire entre la " féticheuse " et la divinité.

Certaines jouent un rôle dans des cérémonies de guérison, et beaucoup d’entre elles sont liées à des cultes de fécondité : comment s’étonner alors que dans les ethnies du Sud-Est, mais aussi chez les Dan, les statues reflètent un idéal de beauté féminine en pleine maturationretour vers les infos sur l’objet ? C’est du reste le cas, au centre du pays, des créations des Yohourè, des Wan, des Mwan, des Tagbana et des Djimini du Sud, des Baoulé : un grand nombre de statuettes de ces peuples appartiennent à la catégorie des conjoints d’un outre-monde, parallèle au nôtre, qui ne se confond pas avec un simple au-delà.

Dans cette conception, tout individu sur terre possède dans cet ailleurs un conjoint qui s’ajoute à sa famille réelle, mais qui ne se manifeste ordinairement qu’à partir de l’âge de quinze ans, lorsque des troubles surviennent (une femme ne parvient pas à avoir d’enfant, un homme ne trouve pas de compagne durable ; ou il est impuissant, il se tient pour différent des autres, et estime que ses semblables le repoussent). Brusquement confronté à l’énigme de son identité, aux défaillances ou aux exigences de son corps, à un conflit psychique, l’individu projette son désarroi intime sur ce double sexuellement inversé qui relève de l’éros comme principe fondamental des pulsions de vie, et qui exprime une irréductible altérité.

La personne atteinte d’un tel coup du sort va consulter le devin (le komien ou le ngoïmanfoué) qui dévoile l’origine des ennuis. Comme un homme possède toujours une épouse de l’outre-monde (blolo bla) et la femme un époux (blolo bian), le devin, après avoir établi les raisons de la colère du conjoint, demande que la personne venue en consultation fasse sculpter une statuette qui évoquera (au sens précis du terme) cette présence de l’outre-monde. Dans beaucoup d’ethnies, il fournit même des indications formelles assez précises : hauteur de la statuette, position des membres, type de coiffure, etc.

Autre raison de faire sculpter des statuettes : fixer des génies de la nature, par définition volages et errants, à l’intérieur du village, pour les amener à résider, au moins temporairement, dans une oeuvre d’art qui puisse, sinon absorberretour vers les infos sur l’objet leur pouvoir, du moins le réguler.

A priori néfastes, espiègles, et surtout horriblement laids, voire difformes, les génies de la nature, chez les Baoulé par exemple, peuvent devenir bénéfiques si on les honore convenablement : lorsqu’ils se sont emparés d’une femme, jusqu’à la faire tressauter, courir, trembler, il convient, après consultation d’un devin, que la possédée fasse sculpter une statuette qui devient le réceptacle du génie et qui le représente, non pas tel qu’il est dans la forêt, mais sous des traits idéalisés, magnifiés.

La recherche de la perfection esthétique produit une sorte de sublimation des forces élémentaires de la nature : de même que la sculpture transmue en charge positive la négativité du génie, de même l’artiste doit transformer la difformité en beauté physique absolue. C’est pourquoi, à la différence de ce qu’il advient dans la statuaire de l’Asie, l’image ne tend pas à être ce qu’elle représente, ni même son substitut partiel : elle n’est qu’un signe, et une voie d’accès. Du coup, bien souvent, les statuettes de génies interviennent dans des pratiques divinatoires.

Alain-Michel BOYER
(Texte de Alain-Michel Boyer, dans « Arts Premiers de Côte d’Ivoire », éditions Sépia)

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