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Un ivoirien d’Assinie à la cour de Louis XIV

Une soixantaine d'années après que des missionnaires capucins de Saint-Malo soient venus s'établir à Assinie, alors que dans le royaume de France le siècle de Louis XIV brille de tous ses feux, commence l'étrange aventure du jeune Aniaba.

En 1687, soit deux ans après la révocation de l’édit de Nantes, un certain Ducasse, envoyé de Louis XIV, accomplit sa mission d’explorateur sur la côte de Guinée. Dans le rapport que le navigateur remet aux autorités françaises, il insiste sur l’impérieuse nécessité de créer des établissements fixes dans la région qui s’appelle déjà la Côte de l’Or. Il indique les lieux qu’il convient de choisir pour élever trois forteresses : Assinie, Commendo et Accra.

Louis XIV envoie donc de nouveau une expédition pour visiter la côte de Guinée. La mission est confiée cette fois-ci au chevalier d’Amon. Ce dernier s’arrête à Assinie où il conclut avec le souverain local un traité très favorable aux français. Ceux-ci reçoivent le droit de construire un ou plusieurs forts à leur gré et ils bénéficient pour leur commerce de la protection du roi Zéna. D’Amon laisse à Assinie quatre de ses compagnons avec quelques marchandises et un pavillon blanc qui, planté au bord de la mer, doit faire connaître aux autres nations l’alliance conclue entre le roi d’Assinie et Louis XIV.

L’arrivée d’Aniaba en France

De son voyage, le chevalier d’Amon ramène en France deux jeunes Noirs qui lui ont été remis en gage de fidélité par le roi Zéna.
Ces enfants s’appelent Aniaba et Banga. Ils sont, d’après certaines sources,cousins. L’histoire parle très peu de Banga mais elle est suffisamment explicite sur le séjour d’Aniaba en France.
A son arrivée à Paris, Aniaba, raconte le père Loyer,  » Aniaba avait quinze ans, le visage d’un Maure et était paien « . Les premiers temps de son séjour en France s’écoulent, semble-t-il, sans que soit accordée une attention particulière à la naissance royale reconnue par la suite. Son cousin Banga, nous raconte la petite histoire, la dévoile.

Un marchand de perles de la rue du Petit-Lion, près de l’église Saint-Sauveur (situé rue Saint-Denis à Paris), le sieur Hyon, ayant fait une enquête à ce sujet, établit la véracité des affirmations de Banga.

Un jour, sur les conseils du sieur Hyon, Aniaba entra dans l’église Notre Dame :  » Ce qu’il y vit le pénétra si fort que, sur-le-champ, il alla trouver le sieur Hyon, qui le présenta au roi, à qui il raconta les motifs de son voyage, et lui dit ensuite que ce qu’il avait senti étant dans Notre-Dame faisait qu’il priait instamment de lui donner quelqu’un qui pût l’instruire de la religion des Français, qu’il croyait l’unique bonne et véritable.  »

Le récit du père Labat diverge : Aniaba n’est pas un prince. « Aniaba a été conduit par le capitaine Compère, dans le dessein d’en faire son valet ; il lui fut enlevé par des gens qui avaient intérêt à le faire passer pour prince et qui le firent passer pour tel à Paris et à la cour.

Ce jeune homme ne se fit pas beaucoup prier pour aider à soutenir cette fourberie, qui lui était avantageuse, et il crut à la fin – et l’on fit semblant de croire – l’histoire fabuleuse qu’on débita de sa naissance et des droits qu’il avait à la couronne d’Assinie.

La seule certitude que nous ayons est que le jeune ivoirien, fils du roi Zéna a été remis par son père en gage de fidélité, d’après les témoignages de Ducasse, et que sa présentation à Louis XIV a eu lieu au plus tard en 1690.

L’instruction catholique d’Aniaba

Le roi Soleil accueille la demande du jeune assinien et le fait instruire dans la religion catholique. Bossuet lui-même reçoit du roi la mission de faire passer Aniaba par tous les degrés du catéchuménat.
Au milieu de l’an de grâce 1691, l’évêque de Meaux, jugeant suffisante l’instruction de son élève, lui administre le baptême. Nous sommes le 1er août en la chapelle du séminaire des missions étrangères.
L’acte de baptême est ainsi rédigé :  » Par permission expresse de Mgr l’archevêque, a été baptisé en la chapelle du séminaire des missions étrangères Louis Jean Aniaba, âgé d’environ vingt ans, fils du roi d’Issigny (Assinie), en Guinée, en Afrique.

Parrain M. Jean-Baptiste de Lagny, intendant général du commerce de France, conseiller secrétaire du roy ; marraine, Mme Bidault, son épouse, au nom et par ordre du roy. Ledit baptême a été célébré en présence du curé de cette paroisse par l’évêque de Meaux.  »

Bossuet avait coutume de mêler l’instruction et l’exhortation à l’administration des sacrements. Il le fait ce jour-là d’une manière particulière éclatante, qui touche vivement l’assemblée.

Cependant la conversion d’Aniaba ne semble pas avoir été accompagnée de celle de Banga, son cousin qui reste quelque peu en retrait. Les deux assiniens ont eu à cette époque le privilège de voir exécuter leurs portraits. Ce fait est établi car un certain Tibierge, en 1692, emporte ces portraits à Assinie et les montre à leurs parents. La mère d’Aniaba pleure beaucoup en voyant le portrait de son fils.
Tous les notables assiniens et leurs femmes décident aussi de faire réaliser leurs portraits. Tibierge, en même temps, lit mot à mot les lettres écrites par Aniaba et Banga à leurs parents. Lettres et portraits ont malheureusement disparu.

Aniaba admis comme officier

Louis XIV ne se borne pas à donner aux deux enfants des maîtres pour leur apprendre à lire, à écrire, et à leur faire connaître la religion chrétienne.

Il y ajoute une éducation et un train de vie de gentilhomme. Aniaba et Banga sont admis comme officiers dans le régiment du roi. Cela ne semble avoir étonné personne, le préjugé de couleur n’étant pas encore né. En 1695, Banga, pour des motifs que nous ignorons est ramené à Assinie. Après le départ de Banga, Aniaba continue à vivre en officier. Capitaine dans un régiment de cavalerie en Picardie, doté d’une pension de 12 000 livres par son royal protecteur, il accumule femmes, domestiques, chevaux et dettes.

La mort du roi Zéna d’Assinie

Quant le chevalier d’Amon lui écrit d’Assinie pour lui annoncer la mort du roi Zéna, Aniaba décide de rentrer dans sa patrie lointaine et de prendre la succession du roi défunt, son père.

Il écrit à Bossuet une lettre le 19 juin 1700, merveilleusement tournée dans le ton du grand siècle :  » Monseigneur, je crorais manquer à ce que je vous dois si je ne vous faisais part de l’affliction que m’a causée la nouvelle de la mort du roi d’Issigny (Assinie), mon père.
C’est Monsieur le chevalier d’Amon, capitaine des vaisseaux du roi, qui me l’a mandée et qui me marque en même temps, de la part de peuples d’Issigny, qu’ils m’attendent avec impatience pour me remettre sa couronne, dont ils ont cependant confié la régence à Casigny.

C’est ce qui donne lieu, Monseigneur, de m’adresser à vous pour vous demander en grâce de m’honorer de votre protection auprès de sa majesté afin que je puisse retourner dans les Etats de feu mon père. Je vous serai toute ma vie infiniment redevable d’un si bon office et cela me donnera lieu de porter la mémoire de vos bienfaits au milieu de l’Afrique et de m’y dire plus majestueusement qu’ici, quoique avec un égal respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur, Louis Aniaba.  »
A partir de ce moment, il semble qu’Aniaba ait été considéré comme le souverain d’Assinie. C’est sans doute à cette époque que Louis XIV dit ironiquement à son filleul le mot que rapporte le liturgiste Claude Châtelain :  » Prince Aniaba, il n’y a donc pas plus de différence entre vous et moi que du noir et du blanc.  »

La décision du retour

Le retour d’Aniaba dans son pays est décidé, l’occasion paraissant opportune d’établir définitivement le comptoir de la côte de l’Or. En la même année 1700, le chevalier d’Amon reçoit l’ordre de prendre le commandement du vaisseau Le Poli pour reconduire Aniaba dans son royaume.

Le protégé de Louis XIV prend de plus en plus au sérieux ses prérogatives royales. Son séjour en France et la fréquentation des salons mondains à la cour de Versailles le convainquent qu’un roi digne de ce nom doit évoluer dans un milieu fastueux. Aussi Aniaba décide-t-il d’instituer un ordre de chevalerie, dont il fera membre les nouveaux convertis de son royaume. Il en parle à Louis XIV, à Bossuet et Madame de Maintenon. Ils conviennent que cet ordre s’appelera l' » Ordre de l’Etoile-Notre-Dame « , institué autrefois par le roi de France Jean le Bon.

Le 12 février 1701, dans la chapelle de la Vierge de la cathédrale Notre-Dame, le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, remet solennellement à Aniaba les insignes de son ordre en présence de Bossuet. Aniaba a offert la veille au chapitre de Notre – Dame un grand tableau qu’il venait de faire peindre par le sieur Justina pour perpétuer le souvenir de cet événement. Sur ce tableau on voit le  » Roi Très Chrétien  » et l’évèque de Meaux présentant Aniaba à genoux à une Vierge qui tient le petit Jésus dans les nuées, lequel a, à la main, un cordon blanc enserrant une étoile. Au bas du tableau on lit :  » A la gloire de Dieu, de la grâce que Dieu lui a faite de retirer de l’aveuglement où ses prédécesseurs et leurs peuples ont vécu jusqu’à présent, et des bontés de Louis Grand, qui l’a fait élever en France à ses dépens dans le culte de la vraie religion et dans la pratique de nobles exercices.  »

L’embarquement à la Rochelle

Peu de temps après cette cérémonie, Aniaba, accompagné du chevalier d’Amon, s’embarque à la Rochelle pour aller prendre possession de ses Etats.

Du voyage fait partie le père Loyer, qui nous a laissé sous le titre de Relation du voyage du royaume d’Issygny, publiée en 1714, un récit fort coloré de cette expédition. Au départ de La Rochelle, Aniaba est traité par ses compagnons de voyage comme un futur monarque. Mais à leur arrivée dans la rade d’Assinie, le chevalier d’Amon, commandant de l’expédition, et le père Loyer, préfet apostolique, semblent ne plus considérer Aniaba que comme un vulgaire individu, leurs relations avec le prince d’Assinie étant en outre très tendues.

Pourquoi ce changement d’attitude ? Le père Loyer fait état des mauvaises manières d’Aniaba au cours de la traversée qui ont mécontenté le chevalier d’Amon. Cette explication paraît courte pour justifier la déchéance qui frappe Aniaba au moment où il foule à nouveau son sol natal.

D’Amon savait probablement la vérité sur l’origine du filleul de Louis XIV. Non seulement Aniaba n’est pas le fils naturel du roi Zéna, mais peut être ne vient-il même pas d’Assinie.

Qui est vraiment Aniaba ?

Henriette Diabaté, l’historienne ivoirienne qui a consacré un ouvrage à l’assinien note qu’Aniaba est un Eotilé. Il est né vers 1672, au moment où les Essouma débarrassent le pays des Efié que les premiers occupants Eotilé, avaient accueilli cinquante ans plus tôt.

Ils avaient fini par dominer leurs hôtes. Les Essouma s’imposent aux Eotilé, et pour éviter tout risque de rébellion de leur part, retiennent à la nouvelle cour royale les princes de la chefferie éotilé.
Chez ces peuples où chefferie et héritage se transmettent par la branche maternelle, Aniaba, fils de la princesse Eotilé Ba, fait partie des otages. Il a six ans à peine. Sa beauté et son intelligence le font remarquer, apprécier et adopter par le frère du roi Niamkey et sa première femme qui n’avait pas d’enfant.

Gâté par ses nouveaux parents, l’enfant oublie vite sa cour et sa langue maternelle pour devenir un fils de la famille régnante Essouma, un Aniaba. Car tel est le vrai nom des nouveaux souverains. Ainsi Aniaba est un prince éotilé à qui l’on donna le nom de ses nouveaux parents essouma.

Dans la perspective de la création d’un fort français à Assinie, il est envoyé en France pour apprendre les rudiments de la langue et du commerce.

Abandonné, Aniaba meurt en exil

Légitimement, le jeune prince peut prétendre, sinon au trône essouma, du moins à celui des Eotilé dont il est descendant. Mais l’entreprise telle qu’elle est conçue par les Français a l’allure d’une usurpation. Elle aurait pu être menée à bien si le jeune prince n’avait pas oublié l’essentiel des vertus d’un homme de son rang dans les bras des marquises de France. Mais il fait preuve d’une telle légèreté dans les mœurs et d’une telle suffisance qu’il décourage ses plus farouches partisans.
Pour d’autres auteurs, Aniaba ne serait qu’un simple esclave. Abandonné de ses protecteurs français, contesté par le roi Acassiny, le nouveau souverain d’Assinie, Aniaba ne montera pas sur le trône.
Emigrant à quelques centaines de kilomètres vers l’Est, il se  » reclasse  » auprès du chef local de Keta à la frontière des républiques actuelles du Togo et du Ghana. IL meurt trois ans plus tard, ne laissant pour tout souvenir que le nom prestigieux d’Hannibal qu’il s’était lui-même donné. Il faut attendre le 26 juin 1843 pour que le royaume d’Assinie, appelé aussi le royaume du Sanwi, entre à nouveau dans l’histoire des rapports franco-ivoiriens.

Sources et Documentation : Mémorial de la Côte d’Ivoire

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