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Les silures sacrés de min san pia (sapia)

Selon la tradition Kulango, les habitants actuels de Sapia, venus de Bouna en quête de terre à culture, se seraient d'abord installés à Nagafou où vivaient d'autres populations Kulango.

Le but de la migration n’aurait pas été atteint simplement parce que les terres étaient densement occupées par les autochtones. Aussi le chef du groupe des Migrants entreprit-il de sillonner la forêt environnante à la recherche, bien sûr, d’un « No man’s land ».

C’est au cours de ses pérégrinations que le chef, du nom de FORMON , découvrit une petite rivière. Au bord de ce cours d’eau t vivait un homme solitaire qui s’appelait BEDIAKON, lui même originaire, paraît-il de Kotio. La tradition veut que ce soit ce dernier qui ait donné au vieux FORMON les consignes nécessaires pour la cohabitation avec la rivière.

En effet, iI expl iqua à son hôte que tous ses enfants périrent parce qu’un d’entre eux mangea du poisson de cette rivière. C’est alors qu’il consulta un devin ; ce dernier lui signifia que les silures du cours d’eau étaient tous sacrés et que par conséquent iI devrait, dorénavant, s’abstenir de les consommer. FORMON, informé de l’existence de cet interdit, décida de créer un petit campement de culture sur les bords de cette rivière poissonneuse. Le campement (1) s’agrandit et devint un viIlage. Les habitants du nouveau viIlage célébrèrent annuellement la fête dite de « Kolgo ». La cérémonie qui durait près d’une semaine attirait beaucoup de spectacteurs des villages environnants. Séduits, ces derniers réfusaient de regagner leurs villages en disant « Je ne veux plus repartir » qui veut dire en Kulango « Min san pia ». D’où le nom « Sapia », par déformation.

La rivière aux silures sacrés a vu elle aussi son appelation déformée. En effet, le nom initial de cette rivière était « Sransi  » qui veut dire en Kulango, « court ». « Sransi » est aujourd’hui devenu « Sansi ». Selon notre informateur, la rivière Sransi n’a ni amont, ni aval, elle ne coule pas et ne saurait donc se jeter dans aucun autre cours d’eau. C’est justement de cette caractéristique que proviendrait I’appelation que cette rivière a reçue : Sransi.

Autrefois, disent les vieux, la rivière Sransi était profonde et on pouvait même y nager. Aujourd’hui elle est un lac stagnant qui constitue une source d’approvisionnement en eau pour les femmes du village.

D’après nos informateurs, dans cette petite rivière, il n’y a que des silures. Comment arrive-t-on à protéger ces silures sacrés ?

D’après les informations que nous avons collectées, iI est formellement interdit de pêcher du poisson dans cette rivière ; iI est aussi interdit de faire des champs aux environs de la rivière, ce qui a permis d’ailleurs de conserver un petit massif forestier protégeant la rivière contre l’évaporation ; enfin, iI est établi un jour de a semaine (Soupé) où il est défendu aux fermes de se rendre à la rivière. Cet interdit favorise en quelque sorte la remise à niveau de l’eau de la rivière. En cas de violation d’un de ces interdits, le coupable doit sacrifier un animal.

Dans le village de Sapia, cortme d’ailleurs dans tous les autres viIlages Kulango, iI y a une famille qui est chargée d’adorer les terres, les cours d’eau, en fait tout ce qui est sacré. En Kulango de telles familles s’appellent Sako bô béné.

A Sapia, c’est la famille Déba ou Débabéné qui joue le rôle d’agent de protection de la rivière. C’est le lieu de noter qu’ici la rivière Sransi et des silures sacrés. La sacralisation est globale car elle ne s’arrête pas seulement aux silures et à la rivière. En effet, la forêt qui abrite la rivière est aussi sacrée et scrupuleusement protégée comme nous le notions plus haut. II s’agit d’un véritable massif de quelques miIIiers de m2, susceptible donc de créer un microclimat favorable à la pérennisation de la chose sacrée. II y a là un sens de préservation très poussé.

La famille Débabéné qui assure la protection intégrale des silures sacrés conserve jalousement et avec ténacité cette tradition. Pour preuve, il est à noter qu’actuellement, le fils Ouattara Moro, qui devait traditionnellement assurer ces fonctions étant devenu musulman, il a légué officiellement le flambeau à deux autres membres de la famiIle qui sont Kobena Badou et Koffi Affif. C’est une preuve que le modernisme a peu de prise sur cette bonne tradition.

Cornnent se manifestent concrètement les relations entre les habitants de Sapia et leurs « voisins » aquatiques ?

Plus haut, nous notions qu’il y a un jour dans la semaine (Soupé) pendant lequel il est interdit au commun des mortels, en particulier aux femmes, de se rendre à la rivière. Néanmoins, il y a une exception à cette règle. En effet, quand un grand chef meurt à Sapia, les habitants peuvent se rendre à la rivière même si ce jour est le « Soupé ». Est-il permis de penser qu’il s’agit là d’une manière d’informer les « voisins » de la rivière du décès qui est survenu au viIlage, ou, est ce une manifestation du rite purificatoire obligatoire après tout décès ?

Un autre volet des relations des honmes de Sapia avec les silures est qu’en cas de « décès » d’un silure, le viIlage est informé par le « Sako bô-béné » à travers des salves de fusil. Ensuite on retire le poisson mort de l’eau et on I’enroule dans du percaI bI anc pour enfin l’enterrer au bord de la rivière. Après tout cela, les adorateurs poussent des cris « hou-hou-hou », ce qui met fin au deuil. II n’y a donc pas de funérailles.

Toutefois, iI faut remarquer que le cimétière des silures est pratiquement invisible. Selon nos informateurs, cela s’expliquerait par le fait que le taux de mortalité est très faible chez les silures. D’ailleurs notre informateur n’avait pas la moindre idée sur la dernière date à laquel le remonte la célébration de tels évènements dans le village.

Le respect dont jouissent les si lures sacrés de Sapia, I’inviolabilité totale de la forêt sacrée qui ceinture la rivière et surtout l’entretien dont bénéficie la rivière Sransi permettent de se demander s’il n’est pas opportun de creuser davantage les méthodes traditionnelles de protection de l’environnement afin de s’en inspirer pour mieux adapter aux réalités nationales les méthodes modernes de préservation préconisées par les pouvoirs publics.

Source: « Histoire Ecologique du pays Abron – kulango (Sié Koffi, Ibo Guéhi Jonas

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